Être ou ne pas être un dispositif médical ?
La question peut sembler triviale : un dispositif médical, on sait tous ce que c’est… ou pas. La réalité réglementaire, elle, est un peu plus subtile. La frontière entre un simple produit de santé et un dispositif médical peut tenir à une ligne dans une brochure marketing, à une fonctionnalité activée dans un logiciel, ou à l’intention affichée d’un fabricant. Dans cet article, on explore les critères concrets qui permettent de déterminer si oui ou non, votre produit entre dans le périmètre du marquage CE Dispositif Médical (DM). Spoiler : ce n’est pas vous qui décidez. Enfin, pas tout seul.
Définition : Qu’est-ce que c’est, au juste, un dispositif médical ?
Un dispositif médical (DM), selon le Règlement (UE) 2017/745, c’est tout instrument, appareil, logiciel, implant, réactif, matériau ou autre article destiné par le fabricant à être utilisé, chez l’homme, à des fins médicales précises. Ces finalités incluent notamment :
- Le diagnostic, la prévention, la prédiction, le suivi, le traitement ou l’atténuation d’une maladie,
- Le diagnostic, la surveillance, le traitement ou l’atténuation d’une blessure ou d’un handicap,
- L’étude ou la modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique ou pathologique,
- Le contrôle de la conception.
- Le tout sans que l’action principale voulue ne soit obtenue par des moyens pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques — ce qui distingue les DM des médicaments.
En clair : ce qui compte, c’est l’intention du fabricant. Et cette intention n’est pas dans sa tête : elle s’exprime noir sur blanc dans la documentation, les supports de communication, les modes d’emploi, et dans les faits.
Devenir dispositif médical : un choix stratégique
On l’a dit : c’est l’usage prévu qui fait foi. Pas l’objet en lui-même. Prenons un exemple simple :
Un scalpel, c’est un dispositif médical. Mais si ce scalpel est vendu pour la cuisine, il devient un couteau courant.
À l’inverse, un couteau de cuisine, si vous commencez à dire qu’il peut être utilisé en bloc opératoire pour des incisions chirurgicales… devient un DM, avec tout ce que ça implique.
C’est là qu’entre en jeu l’"intended use" — l’usage prévu, tel que formulé par le fabricant. Cette notion est au cœur de la réglementation : c’est elle qui définit l’entrée dans le champ d’application du Règlement (UE) 2017/745.
Et cette définition ne se limite pas à une phrase sur l’étiquette. Elle englobe l’ensemble du discours autour du produit :
- Ce que dit la notice d’utilisation ;
- Ce que montre la plaquette commerciale ;
- Ce que suggèrent les visuels sur votre site web ;
- Ce que prétend votre commercial lors d’un webinaire ;
- Ce que font les influenceurs que vous sponsorisez.
Oui, le marketing peut vous transformer un gadget connecté en dispositif médical, parfois sans que vous le réalisiez.
Le piège des fonctions médicales implicites
Les choses se corsent quand la fonction médicale n’est pas explicitement revendiquée… mais que l’on comprend bien l’intention. Exemple classique : une application qui “aide à mieux respirer en période de crise” sans jamais mentionner le mot asthme. Les autorités, elles, sauront lire entre les lignes.
Autre cas courant : les solutions de bien-être, de fitness ou d’aide à la concentration. Si votre solution “aide à prévenir les rechutes dépressives” ou “accompagne les patients épileptiques dans leur quotidien”... vous êtes déjà très, très proche du DM, voire en plein dedans.
Être DM ou ne pas l’être : un arbitrage à bien mesurer Pourquoi vouloir éviter d’être un dispositif médical ? Parce que cela implique :
- Un marquage CE avec un organisme notifié,
- Une documentation technique robuste,
- Une gestion du risque conforme à la norme ISO 14971,
- Un système de management de la qualité conforme à l’ISO 13485,
- Une surveillance post-commercialisation rigoureuse,
- Et une responsabilité juridique bien plus engageante.
Mais ne pas être DM, c’est aussi s’interdire certains usages, certaines allégations, certains marchés. C’est parfois un frein commercial, ou un positionnement flou.
Le choix doit donc être stratégique : si votre produit est conçu pour aider réellement des patients, alors autant l’assumer pleinement, entrer dans la réglementation, et sécuriser votre marché.
Le faux choix : quand la réglementation vous rattrape
Dans certains cas, il ne s’agit pas d’un choix, mais d’un constat. Si les autorités (comme l’ANSM en France) estiment que vous avez franchi la ligne, elles peuvent :
- Vous sommer de retirer votre produit du marché,
- Vous imposer une procédure de mise en conformité,
- Ou même vous sanctionner.
La jurisprudence européenne est claire : le contenu prime sur l’intention déclarée. Autrement dit, dire que votre outil n’est “pas médical” ne suffit pas, si tous vos contenus disent le contraire.
Logiciels et dispositifs médicaux : la frontière devient floue
Les logiciels sont aujourd’hui en première ligne. Une simple app de suivi du sommeil, si elle prétend détecter des apnées, entre dans le champ des DM. Idem pour une IA qui “suggère un diagnostic” ou une plateforme qui “oriente les traitements”.
Les règles sont précises (cf. la MDCG 2019-11), et la Commission européenne les interprète avec fermeté. La tendance est claire : mieux vaut trop réglementer que pas assez.
Conclusion : prenez position, mais en connaissance de cause
Vouloir éviter le marquage CE pour ne pas “s’embêter” avec la réglementation peut être tentant. Mais c’est un pari risqué, surtout si le discours autour de votre produit dérive vers le médical.
À l’inverse, entrer volontairement dans le cadre du dispositif médical, c’est aussi se donner les moyens de légitimer son positionnement, accéder aux marchés de la santé, et construire la confiance des utilisateurs.
Un dispositif médical, ce n’est pas ce que vous vendez. C’est ce que vous dites que vous vendez.
Alors : être ou ne pas être un dispositif médical ? La réponse est dans vos documents, vos slides, vos pages web… et dans la stratégie que vous choisissez d’adopter.